novembre 15, 2019

« Je passe 30 % de mon temps de CEO sur la culture d’entreprise », Geoffroy Guigou, Younited Credit

TOTEM, "en-quête de culture" : pour ce deuxième épisode, nous avons échangé avec Geoffroy Guiguou, co-fondateur et CEO de Younited Credit, qui nous donne les trucs et astuces qui lui ont permis d’absorber l'hypercroissance… sans perdre sa culture.

« Je passe 30 % de mon temps de CEO sur la culture d’entreprise », Geoffroy Guigou, Younited Credit

« En quête de culture » est votre nouvelle série de témoignages et d’articles sur la vie de bureau. Deux fois par mois, CEO, DRH, designers, experts des neurosciences viennent vous parler de leurs stratégies et de leurs best practices de management et d’aménagement d’espace pour souder un collectif. Pour ce deuxième épisode, nous avons échangé avec Geoffroy Guiguou, co-fondateur et CEO de Younited Credit, première plateforme en ligne de crédit aux particuliers en France. « Younited », c’est aussi une belle boîte de 300 personnes. Geoffroy Guigou nous donne les trucs et astuces qui lui ont permis d’absorber cette hypercroissance… sans perdre sa culture.

Geoffroy, combien de temps un dirigeant comme toi passe sur des sujets de culture d’entreprise ?

En moyenne, ils occupent 30 % de mon temps. En particulier depuis 3-4 ans, époque à laquelle on a dépassé la barre des 50 personnes. C’est un vaste sujet, mais hyper-stratégique. Il inclut les rituels de com’ interne, comme notre talk toutes les 6 semaines avec l’ensemble du staff de Paris, la formalisation des valeurs, les projets RSE… Chaque mois, je passe aussi trois heures avec les nouveaux venus autour d’un déj’ pour leur présenter l'histoire de la boîte et les projets stratégiques du moment.

Plus tu grossis, plus cette culture devient fondamentale. Il faut y investir du temps et de l’argent. Au risque autrement de se perdre, diluer son identité et son esprit d’équipe quand on passe les paliers suivants : 100-150 et 500 personnes. À chaque stade de développement, il faut repenser son approche de la culture d’entreprise.

Justement : avec plus de 300 collaborateurs, on ne peut plus vraiment parler de start-up pour Younited. Comment votre culture a évolué au cours du temps (et de votre croissance) ?

La culture d’entreprise existe dès la création. C’est l’état d’esprit des fondateurs, leurs valeurs, puis celles qu’ils partagent avec les personnes qui les rejoignent. À ce stade, deux choses jouent. Un, tu n’as pas besoin de formaliser et faire vivre ces valeurs, parce qu’entre 0 et 10 personnes, les choses restent très informelles. Deux, tu n’as tout simplement pas le temps de t’en occuper. Tu es au four et au moulin.

Passé 50 personnes, tu franchis un premier stade et réalises l'importance des sujets humain. C’est le ciment de l’entreprise et même, je dirais, de sa performance. À 50 personnes, certaines personnes parmi les premières arrivées partent. Souvent parce qu’elles n’ont plus l’énergie, la foi ou parce qu’elles ne sont pas capables (ou ne veulent pas) manager de grosses équipes. Sur 7 personnes au lancement de Younited, 3 sont parties. À ce moment, tu te dis qu’il est temps de réfléchir à tes valeurs pour qu’elles survivent à ces départs.

À 100-150, les fondateurs ne peuvent plus recruter tout le monde. Ils ne connaissent plus non plus tous les prénoms. C’est aussi le moment où on s’est internationalisé. Nous nous sommes retrouvés avec des personnes de cultures nationales différentes, dans des pays différents. Les valeurs permettent alors, quel que soit le pays, de recruter des collaborateurs qui fit avec l’esprit Younited.

Au dernier stade, à 500 +, le risque est que tes salariés perdent de vue l’impact qu’ils ont pour l’entreprise. Il faut à la fois que tout le monde comprenne la stratégie et comment chacun s’insère dedans. Il est vital que les collaborateurs puissent faire le lien entre leur travail quotidien et les résultats de leur boîte. De notre côté, nous envoyons le compte rendu de chaque Comex à toute l’entreprise. C’est un signe de confiance (diffusion d’informations stratégiques) mais, surtout, cela permet à tous de comprendre la stratégie, comment chacun y participe et, in fine, la valeur ajoutée de son travail.

Comment est-ce que vous avez formalisé votre culture ? C’est du top-down ou ça a été fait en collaboration avec tous les salariés ?

La culture d’entreprise nait de la rencontre entre les fondateurs et les salariés. C’est un mélange de différentes perceptions, d’interactions entre les collaborateurs, d’état d’esprit, de petits rituels informels et d’autres plus officiels. Bref, c’est complexe. Nous avons voulu conserver cette implication de tous dans la formalisation de notre culture. Ça ne m'intéressait pas de faire un « machin » marketing. Il faut que la culture soit vécue, qu’elle vienne aussi des employés. Nous avons agi en trois temps :

  1. Temps 1 : Nous avons écrit un doc de deux pages avec les deux autres fondateurs de Younited pour préciser notre l’ADN.
  2. Temps 2 : Ensuite, j'ai envoyé un questionnaire en interne pour tester l’adéquation entre ces valeurs et leur perception. Par exemple, nous avions identifié cinq valeurs clés. Je les ai noyées dans une liste de dix valeurs possibles en demandant pour chacune si elle nous caractérisait. C’est très formateur : parmi les cinq valeurs qu'on avait identifiées, il y en avait une qui ne ressortait pas du tout dans le ressenti des collaborateurs. C’était la culture du résultat. Donc on l’a supprimée.
  3. Temps 3 : Sur cette base, nous avons travaillé un nouveau texte, en organisant des groupes de travail avec les salariés. Cela a abouti (entre autres) à la reformulation complète d’une valeur par les collaborateurs : l’épanouissement. C'est devenu « Act as an entrepreneur », qui est plus précise et plus spécifique. Elle regroupe à la fois l’autonomie et le fait de s’éclater dans ses projets parce qu’on peut les manager.

Le doc final a ensuite été traduit dans toutes nos langues d’implantation. Je ne voulais pas qu'il y ait un seul malentendu avec l’Anglais. Au total, cela a représenté près de 4-5 mois de boulot, dont près de de trois semaines équivalent temps plein pour moi. C’est vraiment énorme mais, quand on y pense, le jeu en valait la chandelle : ce document est le même depuis 3 ans.

Younited Credit en 1 mission et 5 valeurs

Sa mission : « We make your project real, safe and simple. On ne fait pas de produits financiers complexes. On essaie de simplifier un secteur bancaire hyper opaque en le rendant plus simple et plus transparent. »

Ses 5 valeurs :

  1. No limit
  2. Act as entrepreneurs
  3. Make it simple
  4. Faster is better
  5. Innovate or die

Deux pages Word pour 4-5 mois de travail, ce n’est pas un peu « light » ? Comment ce document est utilisé concrètement dans la boîte, par exemple dans le recrutement ?

Le recrutement est le premier acte managérial des entreprises et le premier endroit où tu vois l’intérêt des valeurs. Si tu n’es pas clair dessus, tu risques de recruter des gens qui ne les partagent pas et qui, soit partent rapidement (= investissement perdu en temps et en argent), soit peuvent créer des difficultés par la suite.

On a résolu le problème en créant pour chaque valeur cinq questions qui peuvent être posées en entretien. On ne va pas demander à une personne si elle est ambitieuse. En revanche, on peut voir ce qu’elle a dans le ventre en lui demandant si « elle a déjà essayé de faire quelque chose où tout le monde disait qu’elle allait se planter. » On se fout de savoir si elle a réussi et quelle était la nature de l’événement. Mais est-ce qu’elle l’a déjà fait ? Est-ce qu’elle l’a tenté ? On voit alors les gens qui sont en mode « no limit ».

Derrière les processus d'évaluation, les formations, il y a toujours nos valeurs, nos valeurs, nos valeurs. C’est structurant et ça nous a simplifié la vie en nous donnant un socle cohérent et une direction dans laquelle avancer. Cela s’applique aussi bien aux fondateurs qu’aux collaborateurs. Les projets RSE par exemple viennent toujours des salariés. S’ils ne font rien, il ne se passe rien. Nous (les RH, moi) sommes simplement des « sponsors » qui accompagnons les projets.

On a beaucoup parlé de culture d’entreprise. Comment est-ce que vous la favorisez concrètement par l’aménagement des bureaux ?

La cafétéria est le lieu de vie par excellence pour une entreprise. Younited ne fait pas exception. Chez nous, elle occupe une position centrale, à la fois spatialement et dans la vie de la boîte. C’est un endroit important de rassemblement que les employés doivent pouvoir s’approprier. On a donc décidé d’y offrir le café et les fruits. Concrètement, les gens s’y rassemblent spontanément et s’y croisent, y mangent, y organisent des pots. C’est aussi le lieu où on organise nos événements collectifs et nos soirées. Bref, c’est un lieu identitaire.

Autour de la cafétéria, on a organisé 5 open spaces de 40-50 personnes avec des places attitrées. Et zéro bureau fermé, y compris pour les fondateurs. Je suis également complètement contre le flex-office. Comme beaucoup de start-up, nous avons des rythmes de travail intenses et notre organisation change souvent pour s’adapter à notre croissance. Younited génère un sentiment de mouvement perpétuel et exige une forte capacité d'adaptation. Mais en tant qu’humain, tu as aussi besoin de repères, de continuité. Chez nous, ça passe par les bureaux. Chacun a un poste fixe et est libre de le customiser avec des photos de soirée, des grigris… Ce cocon est important pour recharger les batteries.

Dans les enquêtes de satisfaction, l’item « Je peux être moi-même dans mon entreprise » enregistre un des meilleurs scores. J'ai réalisé à quel point c’était important pour les gens de pouvoir s’assumer, quelles que soient leurs convictions (au sens large)… C’est horrible quand tu es radicalement différent dans ton boulot et dans ta vie privée. Tu deviens schizophrène.